Al-Ghazali, s’inscrivant dans la tradition du Kalām, une école de pensée théologique musulmane qui privilégie l’argumentation rationnelle et la dialectique, utilise la méthode de la démonstration pour mettre en lumière les failles des arguments en faveur de la causalité. Il soutient que, bien que le monde soit empreint de régularités et semble prédictible, il n’existe pas de lien nécessaire entre une cause supposée et un effet supposé. Selon lui, la contiguïté entre deux événements ne suffit pas à établir une relation de nécessité entre eux.
Dans sa critique du concept de cause première, al-Ghazali argumente que si une cause existe sans être l’effet d’une autre, et que son existence est unique, il serait alors possible que d’autres choses existent également sans cause. Ainsi, l’existence sans cause devient une conséquence possible du principe premier, mais l’existence nécessaire d’entités ultérieures causées par celui-ci ne semble pas plausible. Par conséquent, ces entités ultérieures seraient également sans cause, rendant le concept de principe premier comme fondement de la causalité incompréhensible.
Au-delà de la réfutation de la théorie métaphysique des fondements de la causalité, al-Ghazali critique l’idée même de la causalité en général. Il affirme que ce qui nous pousse à croire en une relation nécessaire entre deux événements contigus est l’habitude. Chaque fois qu’un événement se produit en concomitance avec un autre, c’est l’action de Dieu qui établit leur connexion, et non une relation de nécessité intrinsèque. Dieu, dans sa bonté, rend le monde régulier et compréhensible, mais il a le pouvoir, à chaque instant, de réaliser ce que l’on appelle un miracle, c’est-à-dire de décider qu’à la suite d’un événement X se produise non pas Y, comme nous en avons l’habitude.
L’origine de notre croyance en la causalité réside donc dans la répétition de mêmes contiguïtés entre des événements, ce qui renforce notre certitude. Cependant, la relation que nous supposons entre ces événements n’est pas démontrable ni épistémologiquement fondée, c’est-à-dire qu’elle ne repose pas sur une étude critique suffisamment rigoureuse des postulats et méthodes de la science et de la connaissance.
Œuvres | Thématiques et Année de Publication |
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Ihya’ Ulum al-Din | Renouveau des sciences religieuses, vers 1100 |
Maqasid al-Falasifa | Exposition des doctrines philosophiques, vers 1094 |
Al-Munqidh min al-Dalal | Autobiographie spirituelle, vers 1108 |
Al-Iqtisad fi al-I’tiqad | Modération en croyance, vers 1095 |
Mishkat al-Anwar | Niche des lumières, vers 1111 |
Les Mirages de la Nécessité : Quand l’Habitude Façonne la Croyance
Al-Ghazali souligne que notre conviction en une relation nécessaire entre deux événements découle de l’habitude et de la répétition, plutôt que d’une nécessité intrinsèque. Cette perspective remet en question la notion même de causalité et suggère que ce que nous percevons comme des liens causaux pourrait n’être qu’une construction de notre esprit, façonnée par l’expérience et la coutume.
Cette vision de la causalité, où les événements ne sont pas liés par une nécessité intrinsèque mais par la volonté divine, trouve un écho dans les travaux ultérieurs de philosophes tels que David Hume. Hume, au XVIIIᵉ siècle, soutiendra que notre croyance en la causalité est le résultat de l’habitude et de l’association d’idées, plutôt que d’une relation nécessaire et démontrable entre les événements.
Ainsi, al-Ghazali, en remettant en question la notion de causalité, ouvre la voie à une réflexion profonde sur la nature de la réalité, la perception humaine et le rôle de la divinité dans le déroulement des événements du monde. Sa critique de la causalité ne se limite pas à une simple réfutation philosophique, mais invite à une réévaluation de la manière dont nous comprenons et interprétons le monde qui nous entoure.
Les Étoiles du Savoir : Al-Ghazali au Cœur de l’Époque
Au XIᵉ siècle, sous le règne des Seldjoukides, le monde islamique est en effervescence intellectuelle. C’est dans ce contexte que naît Abu Hamid al-Ghazali, à Tus, en Perse. Après des études en jurisprudence islamique à Nishapur, il rejoint la cour du vizir Nizam al-Mulk, qui le nomme à la tête de la prestigieuse madrasa Nizamiyya de Bagdad en 1091. Al-Ghazali y brille par son érudition, mais une crise spirituelle le pousse à quitter ses fonctions en 1095 pour entreprendre un voyage initiatique à travers le Levant et le Hedjaz. De cette quête naîtront des œuvres majeures, telles que Ihya’ Ulum al-Din (Le Renouveau des sciences religieuses) et Tahafut al-Falasifa (L’Incohérence des philosophes), où il critique vigoureusement les penseurs péripatéticiens et remet en question la notion de causalité.
Les Vagues du Débat : Causalité et Controverses
La critique d’al-Ghazali sur la causalité s’inscrit dans une tradition théologique où la toute-puissance divine prime sur les lois naturelles. Face à lui, des philosophes comme Avicenne défendent une vision aristotélicienne, affirmant l’existence de liens nécessaires entre cause et effet, indépendamment de l’intervention divine. Ces penseurs soutiennent que la causalité est une condition sine qua non pour comprendre le monde et que nier cette relation revient à plonger dans le scepticisme. Le débat oppose donc une vision théocentrique, où Dieu est l’unique acteur, à une approche plus naturaliste, reconnaissant l’autonomie des processus naturels.
Les Reflets du Temps : Évolution du Débat Philosophique
Au fil des siècles, la question de la causalité a évolué, intégrant de nouvelles perspectives. Au XVIIIᵉ siècle, David Hume remet en question la notion de causalité nécessaire, suggérant que notre croyance en des liens causaux provient de l’habitude plutôt que d’une relation objective. Plus récemment, des philosophes contemporains ont exploré la causalité sous l’angle des lois de la nature et des relations contrefactuelles, cherchant à comprendre comment les événements se connectent sans recourir à une nécessité absolue. Ainsi, le débat initié par al-Ghazali continue d’alimenter les réflexions philosophiques modernes, témoignant de la profondeur et de la pertinence de ses interrogations.